Avant les attentats de janvier dernier, l’inquiétude de la communauté juive était déjà palpable et le malaise de la société civile vis à vis des juifs – soupçonnés d’être un brin « paranoïaques » -, était bien réelle. Aujourd’hui, les faits tragiques ont confirmé les craintes et étendu le désarroi des juifs français à la majorité des européens. Le danger est bien réel et s’il cible prioritairement tous les juifs, il vise l’ensemble des sociétés démocratiques. Pour autant, une question se pose aux juifs – ou leur est posée – et résonne d’un écho particulier au sein de la seule communauté juive d’Europe à s’être renforcée après-guerre, par l’arrivée massive des réfugiés juifs qui ont fait confiance en la France. Aujourd’hui, compte-tenu des événements, les juifs sont-ils à nouveau indésirables ? Doivent-ils quitter leur pays une nouvelle fois ?
Face à ces interrogations, les responsables communautaires sont questionnés et s’interrogent eux-mêmes sur la manière d’envisager dorénavant l’avenir : avec optimisme ou pessimisme ?
A examiner la liste qui s’allonge des victimes juives assassinées par des terroristes antisémites, il est facile d’être pessimiste. Il serait même presque évident de devoir l’être, à considérer la haine dont nous sommes de nouveau l’objet et la cible. Et pourtant, à regarder la dignité et le courage tranquille de nos jeunes, le dynamisme de nos communautés, la sérénité et la responsabilité des familles face aux événements, il me semble au contraire que nous avons le devoir de lutter contre le pessimisme et le défaitisme ambiants. Face à l’adversité, même cruelle, nous avons le devoir de ne pas renoncer, le devoir de ne pas faiblir ni succomber à la peur, parce qu’il nous appartient d’entretenir le feu du Judaïsme français et la flamme de notre identité. Il en va certes du sens de nos responsabilités individuelles et collectives, mais aussi de la crédibilité de nos engagements.
Pendant des années, nous avons mis en garde contre l’irresponsabilité de l’indifférence, contre le risque mal pesé de la contagion négative générée par les mots et les actes antisémites et antisionistes. Avec la grande manifestation solidaire du 11 janvier, qui témoigne qu’enfin la société prend conscience de la menace terroriste, nous savons – pour avoir été à l’avant-poste du combat qui s’engage -, que le pessimisme nous ferait baisser les bras. Nous qui avons appelé au réveil des consciences et au sursaut démocratique, nous savons que nous ne pouvons pas nous contenter de susciter seulement l’espérance sans agir.
Notre optimisme n’est pas chose aisée mais il est intimement lié au Judaïsme, au fait que nous croyons à la force de l’exemplarité, à la contagion cette fois positive des mots et des actes qui nous parviennent au travers des témoignages de sympathie et de solidarité de toute la France, de tous les cultes, cultures et catégories socio-professionnelles. Parce que cet élan de solidarité s’inscrit dans l’histoire en marche, le moment de vérité est venu pour tous – et aussi pour les juifs – de sortir du mutisme, de la réserve pour affirmer encore plus clairement sa solidarité, son engagement, son identité.
La lutte contre l’antisémitisme a été décrétée « Grande cause nationale, » le Président de la République, le Premier Ministre et le Ministre de l’Intérieur ont témoigné à la face du monde leur solidarité avec leurs concitoyens juifs, en condamnant systématiquement tous les actes antisémites, sans exclure la faute des adolescents de Sarre-Union. Il est de notre devoir citoyen de croire au pouvoir des mots et à la force de la fraternité.
Déclarer publiquement du plus haut sommet de l’État que « La France sans les juifs de France, n’est pas la France, » c’est permettre que des langues enfin se délient positivement et que des tabous se brisent. Oui, les Juifs ont contribué à bâtir depuis des siècles la France, ses valeurs, ses succès. Ils ont porté haut son renom parmi les nations et ont combattu en son nom jusqu’à tomber, pour beaucoup, au champ d’honneur. Comme dans toute histoire d’amour, les preuves d’amour existent dans les deux sens et sont nécessaires. Aussi, tant que la France adoptera les mesures indispensables de prévention, de répression, de sécurisation de nos écoles, lieux de culte et de cultures ; tant qu’elle accompagnera nos projets tout en veillant à l’exercice sans entrave de notre liberté de conscience, nous aurons le devoir juif et citoyen de résister au pessimisme, de combattre l’islamisme radical et de continuer de construire l’avenir.
Si la France a, envers nous, un devoir de vigilance et de sécurité, nous avons nous envers la France, un devoir de lucidité et de reconnaissance. Pour autant, partir ou rester sont des choix personnels qui se respectent et que personne n’a le droit de juger. Devenir un Français de l’étranger, un juif de la communauté française en Israël, ou vivre comme citoyen français son Judaïsme en France, ce qui importe c’est de perpétuer nos valeurs, c’est d’agir toujours, sans renoncer à nos choix citoyens ni à notre identité juive. Là est l’essentiel, pour mieux lutter contre ce fléau du 21e siècle qui veut tuer partout des juifs et éteindre la flamme de la liberté. Il y a 70 ans en Europe, résistants et Justes ont dû dépasser leur pessimisme, aller au-delà de l’espérance, pour agir et ainsi rebâtir la démocratie où nous vivons. A notre tour, devant la menace d’un projet de mort qui veut instaurer un monde de terreur sans juif, nous devons porter notre projet de vie et construire le monde de valeurs que nous voulons laisser à nos enfants. Où que nous habitions, l’essentiel finalement est toujours ce qui nous habite.